06 mai 2019 — Communiqué de presse

Loi sur la chasse. Modification Guide d’interprétation de BirdLife Suisse, Pro Natura et WWF Suisse

  1. Contexte de la révision

La loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages (LChP) actuelle peut être considérée comme équilibrée : la triade « protection, régulation et chasse » a fait ses preuves. L’élément déclencheur du processus de révision a été principalement la motion du conseiller aux États Stefan Engler (14.3151) « Coexistence du loup et de la population de montagne ». La motion chargeait le Conseil fédéral de présenter un projet visant à adapter la loi sur la chasse « afin de permettre la régulation des populations de loups ». Cette exigence raisonnable a trouvé une majorité dans les deux conseils et les organisations de protection de la nature l’ont jugée acceptable. Elles espéraient par ailleurs que la révision de la LChP serait enfin l’occasion d’interdire la chasse des espèces inscrites sur liste rouge (par ex. tétras lyre mâle, lagopède alpin, bécasse des bois, lièvre brun).

Cinq ans plus tard, en mai 2019 et juste avant le débat au second conseil, la motion Engler a accouché d’une révision alourdie de dispositions controversées. De nombreux parlementaires et organisations espéraient que la motion Engler contribuerait à détendre la situation et à ramener la discussion sur le terrain des faits. Mais ils n’ont plus retrouvé l’esprit de conciliation présent dans le projet de loi qui leur a été soumis : au lieu de simplement conférer aux cantons davantage de marge de manœuvre dans la gestion du loup, la présente révision affaiblit de manière générale la protection accordée en Suisse aux espèces menacées, et elle subordonne clairement les intérêts de la protection de la nature à ceux des usagers. On peut véritablement parler d’un changement de paradigme dans la législation. Au lieu de gagner en cohérence, la loi est devenue plus compliquée. Elle délègue aux cantons des compétences situées jusque-là au niveau fédéral et il y a peu de chances qu’elle contribue à pacifier les conflits concernant la gestion des espèces menacées.

  1. Appréciation du fond et de la forme

Le projet de loi soumis au débat dépasse de loin le mandat initial, tout en restant clairement en deçà des attentes pour ce qui est de mieux protéger les espèces menacées :

  • La Confédération abandonne aux cantons la tâche de réguler les animaux menacés (art. 7a, al. 1). Ce transfert de compétence est de nature à renforcer les pressions des milieux politiques locaux et rend impossible une gestion nationale des espèces comme le loup ou le lynx, dont l’aire de répartition est très étendue, pour ne pas parler du niveau international.
  • Les tirs « à titre préventif » sont désormais autorisés, c’est-à-dire avant même que les animaux n’aient causé le moindre dommage (art. 7a al. 2 let. b). À l’avenir, on pourra abattre des loups ou des hérons cendrés « simplement parce qu’ils se trouvent là ».
  • Le Conseil fédéral pourra en tout temps ajouter de nouvelles espèces protégées à la liste de celles qui sont susceptibles d’être régulées (art. 7a al. 2 let. c), sans avoir à consulter le peuple ou le Parlement.
  • Le droit de recours est partiellement suspendu (art. 5, al. 7), les organisations de protection de la nature se voyant ainsi retirer de façon totalement injustifiée un instrument essentiel pour le contrôle démocratique des décisions des autorités de la chasse.
  • L’action conjointe des articles 7a al. 1, 7a al. 2 let. b et 7a al. 2 let. c contribuera à affaiblir la protection dont bénéficient de nombreuses espèces (par ex. castor, loutre, goéland leucophée, cygne tuberculé, …), puisqu’il suffira désormais à n’importe quel groupe d’usagers (agriculteurs, pêcheurs et pisciculteurs, chasseurs) de « faire suffisamment de bruit » pour que le Conseil fédéral, ployant sous la pression, déclare cette espèce « régulable », comme on l’a vu avec le loup. Par la suite, les cantons seront entièrement compétents pour réguler (et décimer) des populations de ces espèces, sans qu’aucun dommage concret d’un certain montant n’ait à être imputé aux animaux concernés. Les usagers ne seront pas même tenus de prendre des mesures préventives contre les déprédations éventuelles (art. 7a al. 2 let. b).
  • Il restera possible de chasser des espèces menacées inscrites sur liste rouge telle que le lièvre brun, le tétras lyre, le lagopède alpin ou la bécasse des bois (art. 5, al. 1). Cette chasse ne vise rien d’autre que l’obtention de trophées et le maintien d’une « tradition », car elle ne se justifie nullement du point de vue de la gestion de la faune. On a ici manqué l’occasion manquée de mettre enfin ces espèces menacées sous protection de la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages LChP. C’est une soumission supplémentaire aux intérêts des usagers.
  1. Faune et frontières cantonales (art. 7a, al. 1)

La Constitution fédérale stipule que la Confédération est responsable de la protection des espèces. Lors de la révision de l’ordonnance sur la chasse en 2012, le Conseil fédéral énumérait pas moins de six raisons pour lesquelles les interventions sur les populations d’espèces protégées devaient rester du ressort exclusif de la Confédération. Il renie aujourd’hui ces propos en transmettant cette compétence aux cantons. La Confédération n’aura plus qu’un rôle consultatif lors de la planification des mesures de régulation des populations d’espèces protégées (art. 7a, al. 1). Les cantons peuvent déjà actuellement décider d’abattre des individus isolés, et même de réguler les populations, à condition que la Confédération ait donné son accord. Cet accord est nécessaire pour garantir une régulation coordonnée. À défaut, il ne sera plus possible d’assurer aux espèces rares une protection durable par-delà les frontières cantonales et nationales. Les animaux sauvages ignorent les frontières politiques. On peut également douter que tous les cantons disposent des compétences et des ressources nécessaires au monitorage et à la régulation des espèces protégées. La révision de la loi peut conduire certains cantons à privilégier des « méthodes expéditives » pour gérer les espèces protégées. Les recours de la Confédération et des associations vont se multiplier, aboutissant à une situation à l’opposé du but premier de la révision.

  1. Légiférer et réguler à titre préventif (art. 7a al. 2 let. b)

Le projet élargit les conditions de régulation des populations d’espèces protégées. Les tirs « préventifs » deviendraient licites, à savoir l’abattage d’un certain nombre d’animaux protégés n’ayant causé aucun dommage, et ceci sans que les mesures nécessaires pour empêcher ceux-ci aient été prises au préalable (art. 7a al. 2 let. b). Des dommages considérés comme « probables » pourraient être invoqués à l’avenir pour justifier la régulation des populations.

  1. Davantage d’espèces protégées pourraient de facto devenir chassables (art. 7a al. 2 let. c)

Le Conseil fédéral aurait la possibilité d’introduire par voie d’ordonnance de nouvelles espèces protégées (par ex. lynx, castor, loutre, goéland leucophée, aigle royal, cygne tuberculé) sur la liste des espèces dont la régulation est licite (loup, bouquetin, héron cendré et harle bièvre dans la loi actuelle). Les espèces protégées risqueraient ainsi d’être toujours plus nombreuses à subir le sort du bouquetin, dont la chasse est pratiquement autorisée. La régulation de telle ou telle espèce protégée sera largement soumise à la pression des groupes d’intérêt.

  1. Le renvoi au Conseil fédéral (minorité Semadeni) fournit la base d’une loi plus mesurée

Telle qu’elle est proposée, la révision de la loi dépasse largement le but à atteindre. Elle est devenue le prétexte à une législation préventive visant à apaiser des minorités particulièrement bruyantes dans une poignée de régions, et doit donc être rejetée. Ce renvoi constitue une opportunité à saisir pour appliquer les motions Engler (14.3151, loup) et Niederberger (15.3534, cygne tuberculé), sans y adjoindre des mesures de régulation préventive. Le projet d’élargir la liste des espèces « régulables » à d’autres espèces protégées est abandonné et la répartition actuelle des compétences entre la Confédération et les cantons est maintenue. Il en résultera une loi qui garde la mesure.

Contact/renseignements :

Werner Müller, directeur, BirdLife Suisse,  079 448 80 36, werner.mueller@birdlife.ch

Pierrette Rey, Corporate Communications, WWF Suisse,  041 21 966 73 75, Pierrette.Rey@wwf.ch

Nicolas Wüthrich, responsable de l’information de Pro Natura, tél. 079 212 52 54, nicolas.wuthrich@pronatura.ch