Une entreprise suisse veut obtenir des millions pour la sortie du charbon en Allemagne
Un rapport publié aujourd'hui par huit organisations non gouvernementales met en lumière les éléments qui ont conduit Azienda Elettrica Ticinese (AET) à saisir un tribunal arbitral pour contester la sortie du charbon de l'Allemagne. L'entreprise publique suisse réclame une indemnisation de 85,5 millions d’euros plus intérêts pour la fermeture d'une centrale à charbon située à Lünen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans laquelle elle détient une participation. Selon ses propres indications, AET a investi un peu plus de 23 millions d'euros dans le projet de centrale électrique.
Un examen plus approfondi de la plainte révèle que :
- La centrale à charbon a enregistré des pertes chaque année depuis sa construction. AET réclame donc une indemnisation pour une installation qui était déficitaire et qui devrait le rester ;
- AET a été contrainte par référendum de se séparer de sa participation dans la centrale à charbon d'ici 2035 au plus tard. Elle souhaite néanmoins être indemnisée pour les gains hypothétiques de la centrale jusqu'en 2053.
- Si AET obtenait gain de cause dans cette procédure, cela remettrait en question l'architecture de la sortie du charbon en Allemagne et pourrait entraîner d'autres recours devant des tribunaux arbitraux par des entreprises du secteur du charbon. Neuf autres centrales à charbon en Allemagne ont des actionnaires étrangers qui pourraient, en cas de succès d'AET, saisir un tribunal arbitral.
Citation : Fabian Fabian Flues, expert en commerce auprès de l'ONG PowerShift:
«Il est scandaleux qu'une entreprise publique recoure à des tribunaux arbitraux non démocratiques pour s'opposer à des mesures nécessaires à la protection du climat. Le fait que AET exige des indemnités pour une centrale électrique déficitaire et multiplie ainsi son investissement initial est un comble.»
Citation : Francesco Maggi, directeur du WWF Suisse italienne:
«Même avant la construction de la centrale à charbon de Lünen, le fiasco était prévisible. Le WWF avait clairement mis en garde AET et le canton du Tessin contre cette décision irrationnelle sur le plan économique et néfaste pour le climat. Au lieu d'assumer ses responsabilités, AET rejette désormais la responsabilité de son propre échec sur la politique climatique allemande et réclame des dommages et intérêts. Une telle attitude est indigne d'un organisme de droit public. Le canton du Tessin doit mettre fin à cette mascarade et demander des comptes aux responsables.»
Citation : Isolda Agazzi, experte en investissements chez Alliance Sud:
«Contrairement à l'UE et à plusieurs pays européens, la Suisse n'a pas dénoncé le Traité sur la charte de l'énergie. Or, celui-ci ralentit la sortie des énergies fossiles et la rend plus difficile, comme le montre le recours de AET contre l'Allemagne. La Suisse doit suivre le mouvement et dénoncer ce traité anachronique.»
Contexte :
La procédure d'arbitrage engagée par AET relève du Traité sur la charte de l'énergie, un accord de protection des investissements conclu dans les années 1990. Le TCE permet aux investisseurs de saisir des tribunaux arbitraux pour contester des mesures énergétiques et climatiques qui limitent leurs profits. Aucun autre accord de protection des investissements n'a donné lieu à autant de procédures d'arbitrage que le TCE. L'Allemagne, l'UE et 10 autres pays ont quitté le TCE, car celui-ci limite fortement leur capacité d'action dans la crise climatique. La Suisse reste partie au TCE. Celui-ci comporte une clause de caducité qui permet d'intenter des actions pendant une période de 20 ans après le retrait. Les pays qui se retirent du TCE peuvent toutefois conclure un accord afin d'exclure toute action entre eux.
Les organisations suisses de défense de l'environnement et du développement réclament depuis longtemps que la Suisse se retire du Traité sur la charte de l'énergie. Le Conseil fédéral n'a toutefois pas l'intention de le dénoncer. Bien au contraire, il a approuvé sa modernisation, telle que décidée lors de la conférence sur la Charte de l'énergie du 3 décembre 2024.
Lien vers le briefing: https://power-shift.de/briefing-gefaehrlicher-praezedenzfall-schiedsgerichtsklage/
Contact
WWF Suisse: Pierrette Rey, porte-parole du WWF Suisse, pierrette.rey@wwf.ch tél., 021 966 73 75
Alliance Sud: Isolda Agazzi, responsable de la politique d’investissements, isolda.agazzi@alliancesud.ch, tel., + 41 22 901 07 82